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Quand les cathos inventaient la manif’

CONFÉRENCE

Par Aurélien Pivault

Les oppositions au pouvoir anticlérical dans le Morbihan des années 1900 aux années 1920.

Dans un ouvrage paru en 2005 à l’occasion du centenaire de la loi de Séparation des Églises et de l’État, l’historien Frédéric Le Moigne pointe l’importance des manifestations de défense catholique dans l’ouest de la France au début du XXe siècle. Ces manifestations s’opposent à un pouvoir républicain qui dénonce dans l’Église catholique des accointances antirépublicaines et contraire aux idéaux des Lumières. Ainsi, entre les années 1900 et 1920, plusieurs lois ou projets de lois attaquent directement les intérêts de l’Église catholique (loi sur les associations, décrets Combes expulsant les congrégations, loi de 1905, menaces sur l’école libre, etc.). Dans ce contexte, le Morbihan se distingue par une opposition particulièrement forte à ces velléités anticléricales.

Le sociologue Charles Tilly a défini le concept de « répertoire d’action » pour conceptualiser l’évolution des formes de mobilisation. Il distingue ainsi un « répertoire d’action ancien », proche des émotions d’Ancien Régime (charivaris, etc.), d’un « répertoire d’action contemporain », avec l’irruption de nouveaux modes de manifester (défilés, meetings, etc.). Au début du XXe siècle, on observe que les catholiques morbihannais s’inscrivent dans ces évolutions. Ainsi, entre 1902 et 1906, à l’exception du cas particulier de Sainte-Anne-d’Auray, les résistances contre les expulsions de congrégations et les inventaires de biens d’Église correspondent à un modèle ancien, avec de nombreuses manifestations, qui se cantonnent le plus souvent à un cadre paroissial. On retrouve partout le même scénario. La résistance est préparée par les villageois à l’avance, car les opérations d’inventaires ou d’expulsion faisaient l’objet d’une notification. Le jour J, les manifestants sont avertis par le tocsin, élément. Ils sont le plus souvent retranchés dans le lieu à défendre (église ou école) avec des barricades de fortune, comme par exemple des troncs d’arbre et des fagots à Marzan et Taupont en 1906. Lorsque le fonctionnaire chargé des opérations arrive, il peut parfois être accompagné de gendarmes ou de soldats. Si une opposition se présente, l’opération est la plus souvent ajournée. Cependant, il faut minorer l’image d’Épinal de la crise des inventaires, qui a laissé dans une certaine mémoire collective un souvenir violent. Dans la plupart des cas, l’opposition reste pacifique et les débordements limités. En février 1906, à Grand-Champ, malgré un léger accrochage avec les forces de l’ordre, les manifestants sont finalement dégagés sans opposition violente par les gendarmes.

Après une accalmie d’une vingtaine d’années – liée notamment à la période de l’Union sacrée pendant la Première Guerre mondiale – les mobilisations catholiques se réveillent suite à la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives de 1924. Le nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, fait part de sa volonté d’appliquer de façon stricte et ferme le principe de laïcité, et annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, la fin du concordat en Alsace-Moselle et le retour de l’interdiction des congrégations religieuses. Dans toute la France, des manifestations ont lieu sous l’égide de la Fédération nationale catholique (FNC). Pour Frédéric Le Moigne, ces manifestations constituent une véritable « invention de la manifestation ». Dans le Morbihan, un véritable réseau de militantisme local se structure. Pendant l’hiver 1924-1925, des réunions publiques sont organisées dans les paroisses pour sensibiliser les fidèles à la montée de l’anticléricalisme et inciter à l’action. En mars 1925, entre 20.000 et 40.000 catholiques défilent à Vannes, avant de se rendre à un meeting place du Champ-de-Foire. Ces affluences imposantes sont permises par le développement récent de nouveaux moyens de transport et technologies, comme le bus ou le train, ou le haut-parleur.

Les revendications portées par la mobilisation sont avant tout communautaires. Les inventaires de 1906 sont perçues comme une attaque contre la communauté paroissiale plus qu’une attaque contre la religion.

L’autre facteur non négligeable dans les mobilisations est l’importance de l’Église catholique dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Dans la plupart des communes, des religieux et/ou des religieuses sont présents pour proposer leurs services à la population : enseignement, soins aux malades, aide sociale, etc. En octobre 1926, lors d’un meeting de l’Union catholique diocésaine à Questembert, le général de Castelnau, leader national de la FNC, décrit la campagne comme une sorte de citadelle où les idéaux chrétiens seraient encore présents, mais sous la menace imminente d’un assaut des forces anticléricales.  Plus généralement, on observe au niveau idéologique sur la période 1900-1920 un lent déclin du monarchisme, remplacé par la montée en puissance d’un courant républicain catholique et conservateur.

Ce changement s’observe aussi parmi les chefs-de-file de la contestation. Les premiers chefs-de-file de la mobilisation catholique sont par définition les membres du clergé, dont le statut leur octroie une prééminence morale et une autorité sur une bonne partie de la population, avec tout d’abord l’évêque. Dans le Morbihan, l’arrivée de Mgr Gouraud coïncide avec l’application de la loi de séparation. Ce chef charismatique se met en scène comme chef de la résistance catholique, notamment grâce à la photographie. Mais la notabilité laïque joue un grand rôle dans la mobilisation des catholiques morbihannais. Dans les années 1900, on constate la persistance de l’influence des aristocrates monarchistes, à l’image du duc de Rohan, député de Ploërmel. Cependant, peu à peu, on observe un basculement vers une droite catholique plus modérée et républicaine, illustrée par exemple par le député Joseph Cadic, très engagé dans le mouvement anticartelliste de 1924-25.

Auteur

Aurélien Pivault
Professeur certifié d'histoire-géographie
Chargé d'enseignement à l'UCO-BS

Cartes réalisées par Aurélien Pivault, 2020.

Bibliographie/sitographie :

LE MOIGNE Frédéric, « La manifestation catholique (1902-1950) », dans Les Bretons et la Séparation, PUR, 2006, pp. 345-355.

PIVAULT Aurélien, Les catholiques morbihannais contre le pouvoir anticlérical. Mobiliser les foules dans le diocèse de Vannes des années 1900 aux années 1920, mémoire de master, université Rennes 2, UFR Sciences sociales – EA7468 Tempora, 2020.

TILLY Charles, « Les origines du répertoire d’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°4, 1984, pp. 89-108.

Historical Social Conflict Database, base de données de l’université de Caen sur les conflits sociaux du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle.